Le réveil est réglé pour sonner à 5h30 et ce n’est pas dans mes habitudes de me lever à ces heures indues. Mais aujourd’hui j’ai rendez-vous, à 6h30, avec un pécheur professionnel sur le port de Propriano pour partager avec lui et deux autres curieux l’expérience d’un métier qui me fascine depuis l’enfance.
Le réveil est réglé pour sonner à 5h30 et ce n’est pas dans mes habitudes de me lever à ces heures indues. Mais aujourd’hui j’ai rendez-vous, à 6h30, avec un pécheur professionnel sur le port de Propriano pour partager avec lui et
deux autres curieux l’expérience d’un métier qui me fascine depuis l’enfance.
Sur le quai des pécheurs de la station Balnéaire il fait encore nuit noir et nous ne distinguons que les silhouettes des deux hommes qui préparent activement le chalutier pour notre sortie. Antoine et son marin Ryad nous accueillent avec le sourire et malgré la gentillesse et la convivialité dont ils font preuve tous deux scrutent leurs passagers d’un jour. A la manière d’un parent attentif Antoine jauge son équipage d’un œil expert, puis d’un ton amical nous invite à gagner le bord du St Antonu.
C’est donc à la brune que nous quittons la terre ferme pour nous précipiter vers l’épaisse noirceur du large. Le puissant spot à l’avant du bateau nous permet d’observer Ryad qui s’affaire à préparer le pont qui accueillera bientôt le fruit captif des filets posés la veille. Le commandant à son poste de pilotage file droit vers la première bouée qui indique l’emplacement du premier filet et avec une dextérité insolente la gaffe du marin s’en saisi et la remonte jusqu’au treuil. L’obscurité domine toujours quand nous voyons les premiers poissons emmaillés sortir de l’eau, le spectacle est réjouissant, et au fur et à mesure que les 500 mètres de résille émergent des abysses, les étoiles s’estompent dans le ciel. L’aube doucement nous dévoile un paysage grandiose qui continue de toucher les marins malgré les années passées dans le golfe du Valinco à approvisionner restaurants et particuliers.
Les premiers rayons du soleil, qui font leur apparition, sont escortés par un cortège de dauphins taquins qui tournent et sautent non loin du filet. Si la magie est totale pour moi et compagnons inexpérimentés Antoine, lui, semble exaspéré par la présence des cétacés qui ont une fâcheuse tendance à dérober le produit de son labeur.
Bon il ne s’agit pas de se laisser attendrir par le ballet et Antoine n’entend pas nous promener il est temps de participer et d’en apprendre plus sur le travail quotidien de ces forçats de la mer. La mer est d’huile, le soleil commence à nous réchauffer ce qui permet au pilote de pousser les moteurs plus avant pour rejoindre rapidement notre deuxième lieu de levage. Pendant ce laps de temps nous commençons à démailler les poissons encore vivant qui garnissent les chaluts. Ryad veille sur nous et nous montre comment s’y prendre pour ne pas se blesser ni abimer la marchandise. La priorité est de reconnaitre les poissons présentant un danger quelconque : les vives et leurs dars acérés, les congres et murènes et leurs puissantes mâchoires, les chapons et autres rascasses protégés par des nageoires perforantes. Après avoir soigneusement identifié chacune de ces bêtes féroces je me lance, armé d’une fourchette, je désincarcère les frétillants de toute les tailles. Il semble que je m’en sorte très bien, si bien même que sur les ordres du capitaine les autres cessent leur besogne pour m’observer. L’égo enflé je continue fièrement, ce chapon m’a donné du fil à retordre mais je l’ai libéré sans casser un seule maille et la raie qui repose à mes pieds parait ne présenté aucune difficulté je la saisi nonchalamment par la queue mais comme le mucus qui la recouvre glisse je place ma deuxième main sous ses ailes pour la lever. Une décharge électrique me parcours le corps instantanément et je lâche ma proie étourdis par le choc.
Quand je me tourne pour avertir du danger je tombe sur un équipage hilare qui se félicite gaiement du mauvais tour qu’ils viennent de me jouer. Mon égo se dégonfle comme un ballon de baudruche et je parviens à rire avec mes bourreaux. Tout en riant à gorge déployée, Ryad indique au pilote la bouée que je ne distingue pas encore, se saisi de la gaffe et recommence sa routine qui pour moi s’apparente à un spectacle de jonglerie.
Le soleil est déjà haut dans le ciel et nous sommes face au sémaphore de Sénétosa le panorama, proprement hallucinant, me fait oublier la besogne et je me laisse happer par le spectacle.
« Ici c’est mon bureau !! », exulte Antoine le regard posé sur l’horizon et les bras croisés sur son large poitrail.
Pas de temps à perdre, et malgré l’envoutement qui émane de ce lieux fascinant, le pécheur semble résister à la magie environnante. C’est que la journée n’est pas finie il y a des clients à satisfaire. Le capitaine ne ménages pas les puissant moteurs qui nous propulsent vers nos pénates. Ryad sais qu’il ne dispose plus que des quelques minutes nécessaires à notre retour pour désincarcérer le fretin agonisant. La course se joue désormais entre les deux hommes du bord. Qui du capitaine ou du matelot finira son labeur en premier ?
Une demi heure plus tard la pèche est entièrement libérée et le capitaine lance les amarres qui nous permettent d’accoster en toute sécurité. Les adieux sont chaleureux malgré l’urgence palpable de la livraison. Antoine et Ryad ont encore beaucoup de pain sur la planche mais pour nous l’aventure s’achève comme elle a commencé sur le quai des pécheurs et sous un soleil de plomb.